Tchantchès

 

Origine

 

Chaque pays possède son personnage caractéristique.  Pour Liège, c’est CHANCHET (1ère appellation de TCHANTCHES). Avant d’aller plus loin, il faut savoir qu’avant que l’orthographe wallonne ne soit fixée « Tchantchès » s’écrivait un peu n’importe comment,  soit avec au début « tch, ch, t’ch, d’j» et en fin « et, es, è, èt ou ès ». Avec toutes les combinaisons possibles. Quand on fixa l’orthographe, on prit pour Tchantchès celle gravée sur son monument créé par Zommers en 1937.  Tout liégeois est incarné dans ce Tchantchès plein de bonhomie, d’audace, de familiarité et de sérieux à la fois.  Ce bouffon, ce comique représente l’esprit populaire.

 

Le premier rôle de Tchantchès au théâtre est celui de régisseur qui annonce au public le sujet de la pièce, le remercie de son attention et présente le prochain spectacle.  C’est par son intermédiaire que le marionnettiste demandera le silence ou glissera quelques mots pour amuser l’auditoire. Par la suite Tchantchès devint le messager de Charlemagne.  Il était son commissionnaire et son portier.  Le voilà donc se mêlant à l’action de la pièce.

Tchantchès est devenu la marionnette la plus cocasse, la plus amusante.  Son parler et sa bonne humeur le distinguaient des autres.  Il devint ainsi l’acteur préféré du public.

 

 

Il faut savoir que dans le temps les théâtres possédaient plusieurs « Tchantchès ». Ce mot désignait en fait tous les personnages du « petit  peuple ». Mais le Tchantchès qui discute avec son public, qui rit avec lui et qui se fait interpeller sans arrêt, a été inventé par Léopold Leloup. Ce marionnettiste, propriétaire du théâtre impérial, voulait attirer dans son petit théâtre de la rue Roture, un publique plus aisé. Il avait remarqué dans le fond de sa salle un groupe régulier de 3-4 étudiants en médecine à l’hôpital du Vieux Bavière qui se trouvait sur l’actuelle place de l’Yser. Mr Leloup créa, vers 1870, un petit personnage, un auto-portrait, vêtu d’une grande blouse blanche. Ce personnage nommé Tchantchès commença à discuter avec les étudiants présents. Il discutait avec eux, racontait des blagues, des sketches. Les étudiants vinrent de plus en plus nombreux et le prirent en affection. Tchantchès était né. Les autres théâtres du quartier (il en existait 2 autres dans la même rue (le Théâtre Impérial des grandes marionnettes liégeoises de Mr Bawdin et le Théâtre du Plaisir de Mr Michel Antoine ) voyant le succès de leur collègue l’imitèrent et c’est comme ça que Tchantchès se propagea dans tous les théâtres de la ville. Cependant il ne reçut pas partout le même accueil. Dans certains théâtres il ne restât qu’un personnage de second rang, mais dans les autres, il devint une vedette, écuyer de Roland, confident de Charlemagne, il intervenait à tout moment.

D’où vient le nom de Tchantchès

Ici aussi la polémique gronde…

 

Officiellement le nom de Tchantchès serait un dérivé de François en Wallon. Ou plus exactement une altération enfantine. Mais le pas entre Tchantchès et Françwès est grand !

 

Certain ont pensé que c’est encore une fois CONTI qui aurait donné ce nom au personnage car un italien c’est un Tchitcho… et de Tchitcho à Tchantchès…  Mais cala semble un peu exagéré, pour ne pas dire tiré par les cheveux.

 

Une autre explication paraît plus vraisemblable et pourtant elle est loin de faire l’unanimité, car elle est politiquement incorrecte ! Je vous la livre tout de même. En fait ce nom viendrait de « petit Jean », en flamand.  En effet « petit Jean » se dit Jantche. Si on le prononce à la wallonne cela devient D’jantchès, qui n’est pas loin de Tchantchès !  De plus, 3 éléments viennent appuyer cette hypothèse. 

 

 

  • Remettons-nous dans le contexte de l’époque, vers 1870. Il y avait énormément de flamands qui venaient à Liège pour travailler dans notre industrie naissante et dans les mines « on trouve notamment des mentions de D’jantches dans des « registres de mine ». De plus, n’oublions pas non plus que, au début, Tchantchès est un personnage dont on se moque beaucoup. On raconte même, que dans certains théâtres, on payait pour frapper le nez de Tchantchès, on riait de lui bien plus qu’avec lui ! En fait, c’est la première blague sur « le petit flamand ».

 

  • A Aix-la-Chapelle, il y a une marionnette appelée Tchansque et qui signifie bien « petit Jean ».

 

  • Dans la joue de nos théâtres, on retrouve toujours un petit flamand appelé Jefque ou Jantche.

 

Mais pourquoi aller chercher si loin ?  Finalement, Tchantchès ne voudrait-il pas dire Tchantchès tout simplement ?

Un prénom comme un autre et qui permet de dire avec fierté à celui qui le porte : « C’est mi Tchantchès ».

 

 

Le caractère de Tchantchès

 

La personnalité de Tchantchès résume bien celle des Liégeois. L’indispensable Tchantchès qu’il appelle le manant liégeois. Toute la « race »  populaire est sommairement personnifiée dans  ce type frustre et cocasse à la fois, plein de bonhomie et d’audace, tour à tour plaisant et sérieux.  Les spectateurs aiment sa malice, son insolence, la verdeur de son langage, ses satires et son indépendance. Parfois du bon sens et toujours du bon cœur. Bavard et buveur,  Tchantchès est le symbole liégeois par excellence. Sur scène, ce n’est souvent qu’un flâneur, s’amusant de farces mais il possède des côtés romanesques car il sait être tendre et passionné.

 

Chez lui, Tchantchès n’a rien à dire ; il préfère jouer au diplomate car Nanesse est une « sacrée bonne femme ».  Celle-ci n’aime pas « avoir son homme dans les jambes ».  Alors Tchantchès part en compagnie de ses vieux camarades boire quelques pekêts et de tournée en tournée, ils feront le tour de la ville.

 

Tchantchès est aussi un coureur de jupons, il aime la compagnie des femmes.

Il n’est pas marié car pour lui

« li marièdje n’est fêt qu’po lès sots… »

« Dji vou-t-èsse lîbe, bèure mi plat-cou

   Rin n’vât l’marièdje di pôrçulinne ;

   On s’qwite, on s’rîplake, qwand on vout… »

 

Voici la traduction

 

« Le mariage n’est fait que pour les sots… »

« Je veux être libre, boire mon petit coup

   Rien ne vaut le mariage de porcelaine ;

   On se quitte, on se remet ensemble, quand on veut… »

 

Telle est la philosophie de Tchantchès sur le mariage.

 

Sa compagne Nanesse est une femme du peuple, pleine de bon sens, courageuse, sévère mais aimante et pleine de bonté.  De temps en temps jalouse car Tchantchès aime plaire et secourir les femmes.

La légende D’après J.Bossly

 

Il y a de nombreuses histoires et légendes sur le personnage de Tchantchès, mais la plus célèbre est sans aucun doute celle de jean BOSSLY écrite en 1956. La voici

 

Tchantchès, d’après une tradition locale émaillée de bien naïfs anachronismes, est né à Liège, de façon miraculeuse, le 25 août 760 : il vint au monde entre 2 pavés de la rue Roture dans le quartier d’Outremeuse, actuellement « république libre de D’jus d’la Moûse ».  Les braves gens qui le trouvèrent furent merveilleusement étonné de l’entendre chanter, dès son entrée dans la vie : « Allons la mère Gaspard, encore un verre ! » C’était un bébé joufflu, goulu, riant sans cesse ; toutefois, il boudait à la seule vue de l’eau. Pour le rendre tout à fait aimable, son père adoptif lui faisait sucer un biscuit trempé dans du pèkèt ; il le sevra avec un hareng saure et son pupille en contracta, pour le restant de ses jours, une soif inextinguible.

 

Comme tous ceux qui sont appelés à une grande destinée, Tchantchès connut les déboires de l’existence : à la cérémonie du baptême, la sage-femme lui cogna malencontreusement le nez sur le bord des fonds sacrés, tant et si bien que l’appendice nasal du pauvre enfant se mit à s’allonger démesurément et le faciès de l’innocente victime en devint ridicule au point qu’il servit de modèle pour les masques de carnaval. Plus tard, atteint de la rougeole, le bambin fut obligé de prendre de l’eau ferrugineuse : « constant guignard » dans laquelle on avait ajouter des vieux fer pour en augmenter le teneur. Comme il se pinçait le nez pour ne pas goutter l’eau, il avala malencontreusement un fer à cheval qui lui resta dans le gosier. Dès lors, il ne sut plus tourner la tête que de droite à gauche ; il dut désormais se mettre à plat ventre pour fixer le sol et sur le dos pour regarder en l’air.

 

 A cause de son pif cyranesque, Tchantchès hésita d’abord à sortir de chez lui ; mais bientôt son instinct de liberté lui fit affronter la foule et il s’offrit à faire St Mâcrawe, c’est à dire à être porté tout barbouillé de noir de suie sur une chaise à porteur, soutenue et escortée par tous les gamins du quartier. Cet événement mémorable eut lieu la veille de l’Assomption 770. Il connut le grand triomphe et s’aperçut que la laideur, accompagnée d’esprit et bonté d’âme, sait se faire aimer. Depuis ce jour, il fut sacré « Prince de D jus d’là Moûse ».

 

Un jour en flânant au bord de la Meuse près du Pont des Arches, il fit la rencontre de l’évêque  Turpin et de Roland, le neveu de Charlemagne. Turpin morigénait Roland sur ses déplorables résultats en latin ! Tchantchès, avec son impertinence habituelle, intervint dans la conversation et pour mettre d’accord maître et élève, prononça cette sentence profonde : «  Oui seigneur chevalier Roland, le latin ne sert à rien du tout, mais c’est très utile quand même. »

  • Quel est ce manant ? demanda Roland…
  • Tchantchès, prince de D’jus d’là, pour vous servir seigneur chevalier

L’évêque Turpin regarda notre ami avec complaisance

  • Et bien Tchantchès, je vais te présenter céans au grand empereur Charlemagne et tu serviras dorénavant de compagnon à son neveu Roland

Et  c’est ainsi que Tchantchès fut introduit à la Cour de Charlemagne. Vint la brillante expédition d’Espagne. L’histoire fourmille d’anecdotes très intéressantes montrant le degré d’intimité que Tchantchès avait avec Charlemagne. C’est ainsi qu’un jour, il entra délibérément dans la tente de l’Empereur qui prenait un repas de grand gala et qui lui dit en avalant une bouchée :  « Que veux-tu, Tchantchès ? Laisse-moi manger mes moules ! »

Une autre fois encore il sert de chambellan à l’auguste  guerrier

  • Sire Empereur, l’ambassade du « neûr nègue » Marsil désire vous parler
  • A combien sont-ils ?
  • Ils ne sont qu’à qu’un.
  • Alors qu’ils entrent tous et que le dernier ferme la porte.

Tchantchès ne quittait Charlemagne  et Roland ni la nuit ni le jour en toutes circonstances, dans les conseils privés et sur les champs de bataille, toujours il était là pour aider de ses avis judicieux ou de ses terribles coups de tête, car Tchantchès était le champion des soukeus de Liège. (celui qui se bat en donnant des coups de tête dans la poitrine). Voici la façon de combattre de Tchantchès : sans lance, sans épieu, sans épée, pour gonfanon son mouchoir rouge autour du cou, pour bouclier son sarrau bleu, pour heaume sa casquette de soie noire ajustée en un tournemain sur son crâne solide comme un roc. Il crache dans ses mains, empoigne l’adversaire par les deux épaules et pan ! En plein dans le sternum, lui lance un coup de tête qui lui brise les côtes et l’envoie dans un monde meilleur. Nulle cuirasse, si solide soit-elle, ne peut résister à ce marginal bélier : tout homme atteint par Tchantchès est un homme mort, et lui même grâce à son nez béni est invulnérable.  Pendant la bataille de Roncevaux, Roland trop téméraire avait envoyé dormir Tchantchès qui baillait durant le combat et qui, pour sa part avait déjà fracassé les côtes d’au moins trois mille sarrasins. Ce fut la seule cause du fameux désastre.

 

Quelle fut la douleur du héros liégeois en contemplant avec Charlemagne le corps inerte du preux Roland ! Pour mieux témoigner sa tristesse, il ôta sa casquette et s’arracha des poignées de cheveux (c’était la coutume de l’époque) en prononçant cette homélie funèbre : « Sire Empereur, votre vaillant neveu à reçu sa daye (le coup de grâce), nous le revengerons ! » Tchantchès accompagna son maître au siège de Saragosse et ce fut lui le tout premier qui franchit les rempart de la ville.

 

De retour à Aix, avec la cour impériale, il assista  au châtiment du traitre Ganelon. Ce félon devait être écartelé ! Tchantchès s’y opposa. Il voulut et obtint que le comte infidèle soit noyé dans une cuve d’eau distillée, supplice que notre homme trouvait le seul logique en l’occurrence, parce que, bien souvent, à Liège, il avait « entendu dire : « Lâche, va-t-en, je te renie, à toi l’opprobre et le mépris » ce qu’il comprenait ainsi : « à toi l’eau propre et le mépris ». Tchantchès, malgré les abjurations de l’Empereur, revint dans sa bonne ville de Liège et ne se consola jamais d’avoir dormi pendant la dernière phase de la bataille de Roncevaux. Après une franche ripaille, il mourut de la grippe espagnole et fut enterré à l’endroit même où s’élève son monument place de lYser. Rien n’a pu le terrasser : ni l’amour (il resta célibataire), ni même la vieillesse (il s’éteignit à l’âge de 40 ans !) regretté par toute la population, il est resté le prototype du vrai Liègeois : mauvaise tête, esprit frondeur, grand gosier, ennemi du faste et des cérémonies, farouchement indépendant mais cœur d’or et prompt à s’enflammer pour toutes les nobles causes.

 

Jean BOSLY 1956