Origine de la marionnette à manipulation par au-dessus en Europe

 

Il s’est avéré que, dans l’Antiquité, la classe sacerdotale avait demandé aux ouvriers en mécanique les moyens d’imprimer aux simulacres divins, sinon le mouvement, du moins la mobilité. Les anciens ont connu, de tout temps, les poupées articulées. En Egypte, dans les fêtes d’Osiris, on promenait des petites statues mobiles. D’autre étaient enterrées avec les pharaons et les nobles de haut rang. Ces marionnettes servaient pour représenter des serviteurs qui devaient aider le défunt dans l’au-delà pour y accomplir toutes les tâches qu’il aurait à y faire.

 

Les Grecs excellèrent dans l’art de confectionner des statuettes mues par des fils ; ils les nommaient  « neurospata ».

Leur degré deperfectionnement fut tel que nous ne devons pas nous étonner de les voir si souvent cités par les meilleurs auteurs. Platon, par exemple, écrit dans son œuvre « Les Lois »:   « Figurons-nous que chacun de nous est une marionnette sortie de la main des dieux. Les passions qui nous agitent sont comme autant de cordes ou de fils qui nous tirent chacun de leur côté et qui, par l’opposition de leurs mouvements nous entraînent vers des actions opposées, d’où semble résulter la différence du vice et de la vertu ». Le drame en Grèce étant en pleine décadence, les représentations de marionnettes firent fureur au point que les Archontes d’Athènes   permirent à un nommé Pothein de donner des représentations publiques sur le Théâtre de Bacchus.

 

Dans les pompes religieuses et quelquefois même dans les triomphes, les Romains portaient d’énormes poupées  articulées, des « lamia » comme ils disaient.  (Etait tout spécialement célèbre « Manducus » énorme marionnette à mâchoire mobile, l’ancêtre du « Machecroute » lyonnais et du « Croquemitaine » parisien). Les Romains les désignaient des noms de « simulacra », « oscilia », « imaguncula », le rôle des marionnettes fut donc sérieux d’abord mais elles ne devaient pas tarder à acquérir un rôle comique.

 

En Europe, au Moyen-Age, le spiritualisme chrétien pouvait mal se concilier avec les exhibitions plastiques. Les représentations de marionnettes furent donc bannies des places publiques. Pourtant, les marionnettes ne vont pas disparaître pour autant.  C’est dans les églises, là où est né le théâtre, que se retrouvent les premiers spécimens de sculptures mécaniques et qu’apparaissent crucifix et madones dont la tête, les yeux et les membres sont mobiles. On représente alors dans presque tous les temples de la chrétienté, même dans l’église du St Sépulcre à Jérusalem, les épisodes de la Passion le jour du Vendredi-Saint, et ceux de la nativité à Noël.  Il est à remarquer que la plupart des petits personnages qui y figurent sont plus ou moins animés de mouvements. En Espagne, ces représentations sacrées prirent un tel développement que le Synode d’Oribuels les interdit. Quant au mécanisme, si nous considérons les marionnettes de l’Antiquité d’après les descriptions qu’Arténée en a données ou d’après les spécimens que nous avons retrouvés, nous devons dire qu’elles présentent bien peu de différence, même avec nos marionnettes liégeoises !

 

C’est à la Renaissance, et surtout en Italie, que l’on trouve des théâtres populaires de marionnettes, donnant des représentations sur les places publiques pour divertir les badauds, et ce dès le XVIe siècle. Mais rien ne nous autorise à considérer leur introduction comme récente. Si nous ne parvenons pas à  retrouver les noms des principaux personnages, nous pouvons cependant dire avec une certaine probabilité qu’ils ont emprunté caractère et costume aux comiques nationaux et aux personnages en vogue comme ceux de la Commedia dell’Arte.

Origine du théâtre de marionnettes liégeoises

 

Depuis quand ce théâtre existe-t-il à Liège ?

 

Cette question à été très controversée.  Beaucoup de folkloristes, comme M. Demblon par exemple, prétendent avec M. Salme que la naissance de ce théâtre n’est guère ancienne et remonterait à peine à la première moitié du XIXe siècle. M. Salme, dans son livre Li Houlot raconte que le père de Gilles Conti, que tout le quartier d’Outremeuse connaît, avait fait la connaissance d’un Français du nom de Talbot, établi depuis longtemps à Liége.  Ils s’entendirent pour créer un théâtre de marionnettes. Mais, comme toute innovation trouve toujours des imitateurs, on vit à la même époque Marchand (t), dans la rue Petite-Bêche, et Paily, sur la place d’Othée, ouvrir des théâtres semblables. 

 

Cependant, il semblerait que CONTI n’aurait pas apporté la marionnette liégeoise mais les marionnettes « d’intermèdes », totalement disparues de nos jours. Ces marionnettes servaient entre les « spectacles », aux alentours de 1860. Souvent à fils et pas toujours en bois, elles représentaient parfois tant un jongleur, tant un musicien, tant un magicien,… Robert Willé, petit-fils de Crits (un illustre marionnettiste liégeois) a recopié les marionnettes de son grand-père, dont « l’homme qui s’dismousse » (l’homme qui se déshabille). C’est une  marionnette à fils qui servait d’intermède et qui avait la particularité de se déshabiller en scène,  et montrait un caleçon dont le fond était peint en brun. Cela faisait beaucoup rire les gens, fin du 19ième siècle. Ce qui vient surtout corroborer notre version, ce sont les personnages dont M. Salme dote le théâtre Conti : «  Il nous parle de Polichinelle avec une bosse dans le dos et l’autre sur le ventre, qui vient souhaiter le bonjour à la compagnie en ôtant son chapeau qu’il fait rebondir comme un ballon, d’un pied et d’une main à l’autre, puisqu’il rejette sur la tête  aussi adroitement qu’un faiseur de tours », ce qui est totalement impossible à faire avec une marionnette liégeoise traditionnelle !

 

Nous pouvons aussi ajouter à cela 2 choses à propos de Conti : tout d’abord Conti aurait exercé le métier de potier-céramiste. Deuxièmement c’est un Toscan. Nous pouvons donc supposer que ses marionnettes ne devaient  pas être en bois mais plutôt en céramique ou terre cuite, du style de certaines marionnettes actuelles de Toscane oµ de Venise. Mais pour mieux comprendre, il faut savoir qui est Conti et comment il a créé son théâtre.

 

 


Les 3 grandes familles de marionnettes


S’il y a des dizaines de milliers de marionnettes différentes dans le monde, on peut les classer en trois grandes familles, selon la position du montreur par rapport aux personnages manipulés.

 

La manipulation par en dessous : Le montreur se trouve donc en dessous du personnage pour le faire bouger… c’est un type de marionnette très répandu… comme Guignol, Punch ou plus télévisuel Bla-Bla, les Guignols de l’Info…

 

La manipulation équiplane (par derrière ou le côté) :         C’est un type de marionnette peu répandu en Europe..

Il est surtout utilisé dans les pays de l’Est et en Asie… Les plus célèbres sont sûrement les marionnettes d’eau vietnamiennes. Ici, en Europe, un seul type est vraiment employé, ce sont les marionnettes des ventriloques, comme Tatayet…

 

La manipulation par le dessus : Ce groupe peut se diviser en deux sous-catégories. D’une part, les marionnettes à fils qui, comme leur nom l’indique, sont mues par des fils. D’autre part, les marionnettes à tringles, qui sont mues par des barres (tringles) de fer. C’est à cette dernière qu’appartient notre bonne vieille marionnette de tradition liégeoise. Remarquons encore que celle-ci ne possède qu’une seule tringle et est donc dite à tringle unique.

Qui est CONTI ?

 

Jean Conti et  Françoise Casci vivaient à Castelvecchio un village de la commune de Braga au Grand-duché de Toscane. Ils donnèrent naissance le 12 décembre 1830 à un fils nommé Alexandre Ferdinant Pompée CONTI. Après une jeunesse près de ses parents, ce dernier quitte la  demeure familiale en 1851. En 1853 on le retrouve comme figuriste chez un ami, Dominique Matti à Rotterdam. Le 15 juin 1853  il épouse Marie-Louise de Waal et quitte la ville peu de temps après, disant rentrer chez lui en Toscane. Mais il s’arrête en chemin à Liège où il arrive le 13 décembre 1854. Il s’installe dans le quartier de la Madeleine puis, en 1855, après la mort de son épouse il va s’installer en Pierreuse. En 1857 il épouse Virginie Wuillemat. Chose curieuse, il a pour témoin un jeune homme, un certain Joseph Rigali dont on retrouve le nom dans la liste des théâtres liégeois recensés par Rodolphe de Warsage en 1902. Son 1er fils,  Ferdinant-Pierre naît le 30 mai 1857 et Conti réside alors rue des Ecoliers dans le quartier St Pholien en Outremeuse. En 1861 naît sa fille Marie-Louise, mais à cette époque il a déjà regagné Pierreuse. Il aura encore d’autres enfants.  Il meurt le 3 janvier 1903 dans le quartier St Séverin où il habite apparemment depuis les années 1870. Signalons encore que, d’après le registre de police de la 6ième division et les registres d’état civil dressés entre 1855 et 1873, on note qu’il sait à peine parler français et qu’il ne sait pas écrire. Par contre en juillet 1876 Il signe la déclaration de décès de sa fille Clara Ferdinande.  

Le Théâtre de CONTI

 

D’après Dieudonné Salme, Le Théâtre de CONTI se trouvait à la Porte Grumselle en Outremeuse, mais peu importe l’endroit… Intéressons-nous à quand il a pu ouvrir ! Si on admet que c’est CONTI qui a créé les marionnettes, c’est donc lui qui a ouvert le premier théâtre et donc il n’a pu ouvrir ses portes vraisemblablement qu’après l’arrivée de Conti à Liège ! C’est à dire au plus tôt en janvier 1854 voire en 1857 à son arrivée en Outremeuse. Là, il s’est associé avec un français nommé Talbot vivant depuis de très nombreuses années à Liège pour ouvrir un théâtre sous le nom de CONTI. On peut noter la première mention du théâtre CONTI en 1860 dans un livre d’Elisée Legos qui décrit les fêtes de la Ste Véronique jour après jour. Voici le passage : «  Et ci chal don… c’è-st-ine pus aute, savez, ley… èle vis fait tronler’ne vwès d’flûte qui vos creûriz-st-ètinde ine gawe !Allez, s’dji n’mi trompe… c’est l’cisse d’as marionètes d’ammon Con’ti… là wice qu’on boube djus lès Ampèreurs avous des tchikes di role èt des êwizès cûtès peures ».  [Et celle-ci donc… c’est une plus autre (plus étonnante), vous savez, elle… Elle vous fait trembler une voix de flûte si bien que vous croiriez entendre une guimbarde ! Allez, si je ne me trompe… c’est celle des marionnettes de chez Con’ti… là où on renverse les empereurs avec des chiques de tabac et des poires cuites tournées…] On sait aussi qu’en 1868, CONTI avait vendu son théâtre aux frères Henne. Bien que ce théâtre et sa renommée continue encore longtemps, CONTI n’y a joué qu’une quinzaine d’années au maximum.

La fausse paternité

 

Plusieurs choses posent problème à propos de Conti lui-même en tant que montreur principal de ce théâtre. Je vais ici essayer de vous expliquer pourquoi.

 

Tout d’abord durant la période où il réside en Outremeuse CONTI est illettré et ne sait pas bien parler le français. Comment est-il possible qu’il ait pu faire la renommée d’un théâtre quand on sait la verve que cela demande ?

 

Deuxièmement, Conti était un figuriste, il faisait des moulages en plâtre. Pourquoi subitement serait-il passé à la sculpture sur bois ? 

 

Troisièmement, Conti était associé avec un français nommé Talbot pour ouvrir son théâtre. Dans la description que Auguste Hock nous fait de Conti, il parle « du Houlé Conn’ty ». Or, aucun témoignage ne nous dit que Conti était infirme et qu’il boitait… Par contre son associé Talbot, lui avait un « pied bot » suite à une fracture de la jambe qu’il s’était fait en jouant « l’Hercule » sur la batte…

 

Quatrièmement : l’écriture du nom Conti donnée par Hock est « conn’ty » et celle de Legros est « con’ti » sûrement  à cause de la prononciation…Or « conn ti » pourrait se traduire en français par « avec toi »… Serais-ce un jeu de mot employé par les 2 associés ???

 

Cinquièmement : on notera que Conti revend son théâtre aux frères Henne en 1868 après que son ami Talbot aurait décidé de créer sa propre troupe en novembre 67, reprenant ainsi la succession de Boudoux, un théâtre itinérant de type « Guignol  » (Information donnée par la gazette de Liège du 7 novembre 1867). De plus Conti est retourné vivre en Pierreuse 61.

 

Sixièmement : Salme nous décrit 2 types de marionnettes utilisées chez Conti. Un pantin superbe et jonglant, manipulé par des fils et d’autre part des pantins mal dégrossi dont certains avait le corps bourré de paille.  Ne peut-on raisonnablement penser que le pantin jongleur était l’œuvre de CONTI qui aurait reproduit en plâtre le type de marionnettes Toscanes de son enfance ? Et que les autres soient de Talbot ?

 

Ma conclusion est celle-ci : s'il est certain que Conti a participé à la création de ce théâtre, je pense qu’on l’a confondu avec son associé Talbot et que ce serait donc Talbot et surtout les frères Hennes, après lui, qui en auraient fait sa renommée par leur verve.

Le théâtre CONTI  était-il le premier du genre ?

 

Ici aussi la controverse règne. S’il est certain que le Théâtre Conti fut très connu et réputé, il n’est pas du tout certain qu’il ait été le premier théâtre fixe à utiliser des marionnettes suspendues  par la tête.

 

D’après les dire de François Pinet, son arrière-grand-père Mathieu Pinet (1825-1889) qui à connu Conti, aurait commencé à jouer des marionnettes fin des années 1840. Il ajoute même dans son livre, qu’en 1835 son grand-père jouait déjà chez lui avec des pantins bourrés de paille. Son fils Pierre-Paul reprit le métier de son père en 1870.

 

Dans les écrits d’Auguste Hock celui-ci mentionne également un autre théâtre en Petite Bêche, celui de Marchand, à la même époque voire antérieur à celui de CONTI

 

Pour écrire son livre sur ce sujet, par acquit de conscience Alexi Deitz s’était renseigné auprès de vieilles personnes. Toutes lui ont assuré que leurs grands-parents connaissaient les marionnettes et cela en au début 1900 lors de l’enquête.  Certaines de ces personnes citent même la date de 1826 pour un premier théâtre sédentaire de type liégeois dans la rue Roture, Ils parlent aussi du théâtre de Marchand en petite Bêche vers 1835-40.

 

D’autres auteurs et sources  mentionnent des théâtres vers 1830. Par conséquent, il y aurait eu d’autres théâtres avant CONTI, et bien que nous ne connaissions pas la date exacte de la création du premier théâtre sédentaire à utiliser des marionnettes à manipulation par le dessus ni le nom de son propriétaire, on peut estimer que le type de nos marionnettes liégeoises à vu le jour vers 1820-1830. Mais le plus important est que, même si son origine est controversée, elle est toujours là et bien présente en région liégeoise pour le plus grand bonheur des petits et des grands.